Colloque
Droits
de l’homme et liberté de religion :
liberté
religieuse et insécurité
8 au 11
mars 2003, Sofia, Bulgarie
Conscience
et Liberte, № 64, 2003, page 43-47,
Colloque 8-11 Mars 2003, Sofia
Gewissen und Freiheit, № 59, 2003, seite
39-44,
Kolloquium 8-11
Maerz
2003, Sofia
Plan du
dossier
Samedi
8 mars 2003
Séance
d’ouverture
«Un
colloque sur la religion et l’insécurité en Europe
a-t-il
sa raison d’être?»
Allocutions
M.
Verfaillie
R.
M. Martinez de Codes
L.
Toshev
K.
Andreev
L.
Koulichev
Dimanche
9 mars 2003
Première
séance
«L’Europe
occidentale, centrale et orientale — les religions
historiques
et les nouveaux mouvements religieux
dans
leur optique historique et sociale»
J.
Baubérot, Des religions historiques aux nouveaux mouvements
religieux
— les leçons de la laïcité française
A.
Krusteff, La liberté religieuse — une question relative au
développement
stratégique de la Bulgarie…………………..
…………………………………………………….
M.
Latchezar Toshev,
Président de la Commission des droits
de
l’homme et des religions au Parlement bulgare
Je
vous remercie de m’avoir permis d’assister au colloque organisé
par
l’Association
internationale pour la défense de la liberté religieuse (AIDLR)et
d’y prendre la parole.
J’aimerais profiter de cette occasion pour vous souhaiter, au nom de la Commission des droits de l’homme et des cultesauprès du Parlement bulgare, le plein succès de vos travaux.
J’aimerais profiter de cette occasion pour vous souhaiter, au nom de la Commission des droits de l’homme et des cultesauprès du Parlement bulgare, le plein succès de vos travaux.
Je
me réjouis qu’un tel colloque se déroule en Bulgarie. Cela
montre,
compte
tenu des événements qui se sont déroulés dans les pays voisinssitués
dans l’ouest des Balkans, que l’esprit prend peu à peu le dessus
sur lematérialisme
et que nous pouvons envisager l’avenir avec optimisme.
M.
Maurice Verfaillie m’a rapporté certaines discussions organisées
parl’AIDLR,
et je trouve que le sujet qui sera traité dans les prochains jours
est non
seulement extrêmement intéressant, mais très important pour le
développement
de
la société.
La
liberté religieuse est un droit fondamental qui doit être reconnu à
chaque
individu, partout dans le monde.
La
liberté religieuse est garantie par la Constitution bulgare, ainsi
que par
la
Convention européenne pour la défense des droits de l’homme et
des
libertés
fondamentales du Conseil de l’Europe et le Pacte international
relatif
aux
droits civils et politiques de l’ONU, tous deux ratifiés par la
Bulgarie.
Selon
notre Constitution, les traités internationaux ratifiés par le
Parlement
font partie intégrante de notre législation intérieure et, le cas
échéant,
remplacent les normes déjà existantes qui les contredisent.
Une nouvelle
loi relative aux religions a été adoptée dans le cadre de la
législation intérieure.
Elle a été envoyée à la Cour constitutionnelle et au Conseil
de
l’Europe, qui la soumettront à une expertise.
J’espère que ces
démarches déboucheront
sur une réglementation normative stable, conforme aux standards
européens. Parallèlement, un débat public lié à l’adoption de
la loi a eu lieu;
il a probablement exercé un rôle éducatif sur les citoyens.
Horace déclaré : «Vaines sont les lois si les moeurs manquent.»
Quid
leges sine moribus vanae proficiunt!
C’est pourquoi,
sans négliger la codification, je placerai en premier lieu l’opinion
et
la mentalité publiques, qui jouent un rôle significatif sur le
niveau de civilisation
d’une
société. La liberté religieuse et l’attitude de la société à
son
égard
constituent le thème clé de ce colloque.
Jacques
Ellul a posé le problème de l’éthique de la liberté, une
question
fondamentale
que je voudrais lier au principe de la responsabilité.
C’est la responsabilité
et non l’obligation que je prendrai en considération, car la
responsabilité
est une catégorie d’ordre moral que l’on atteint grâce à sa
formation
et à son éducation, et non par voie de codification. Je n’ai pas
l’intention de répéter ce qu’ont
dit Hans Jonas et Hannah Ahrendt, ainsi que
Max Weber au sujet de l’éthique de la foi;
Je
voudrais plutôt rappeler la Déclaration
du Comité des Ministres du Conseil de
l’Europe pour l’éducation de
la société démocratique fondée sur les droits et les
responsabilités des citoyens.
Elle a été votée en 1999, à l’occasion du 50e anniversaire de
la création, à Londres, le 5 mai 1949, de
la plus vieille organisation européenne.
L’Église
orthodoxe oecuménique a d’ailleurs été la première à soutenir
cette
déclaration
et à exprimer sa volonté d’adhérer à son programme en cours.
Elle
a pris cette décision durant le 6e Dialogue entre les Églises
orthodoxes
et
le Parti Populaire Européen, qui s’est déroulé à Bucarest, en
2002.
L’Église orthodoxe
bulgare y était représentée par l’évêque d’Adrianopoli
Evloguii,
recteur
du séminaire de Plovdiv.
Il
convient donc que les libertés et droits de l’homme soient connus
et
exercés
par les citoyens.
Par «citoyens», j’entends non pas les
«ressortissants»,
mais les membres actifs d’une société qui connaissent leurs
droits et en
jouissent, tout en respectant ceux des autres.
Ce sont eux qui
nomment les
cadres dirigeants, choisissent les fonctionnaires et exercent sur eux
un contrôle.
Il
me semble important de souligner que les libertés religieuses ne
peuvent
pas
porter atteinte aux droits des autres membres de la société, ni aux
libertés
et
droits fondamentaux de ses propres coreligionnaires.
C’est en cela
que consiste
la responsabilité de la liberté ou l’éthique de la liberté.
Ce
serait un acte
conscient de la part d’un membre d’un culte, quel qu’il soit,
d’être prêt, parfois,
à s’imposer des limites plutôt que de porter atteinte aux droits
des autres.
Le principe de la responsabilité est d’ailleurs profondément
enraciné
dans
les fondements de la morale chrétienne, qui enseigne l’amour du
prochain,
voire de son ennemi. Ce sont des préceptes fondamentaux que le
Fils
de Dieu, Jésus-Christ, nous a légués.
Parler
de tolérance et de dialogue entre les différentes religions est
très à
la
mode, aujourd’hui. Surtout après les actes répréhensibles
perpétrés par
certains
nouveaux mouvements religieux — comme «AUM» —, qui provoquent
des
exterminations et des calamités ou conduisent à des suicides
collectifs.
De pareils actes représentent un danger pour la
société, et il ne
faut
pas les tolérer. D’où la nécessité de limiter la liberté
religieuse.
À
mon avis, l’État ne peut intervenir que pour garantir la
tolérance, au cas
où
les différences se transformeraient en conflits ou menaceraient les
droits
de
l’homme, l’ordre public, la vie et la santé des personnes ou la
sécurité
nationale.
Ces notions doivent être nettement définies pour ne pas
commettre
d’abus par rapport à de tels actes.
Si
on étudie quelque peu les principales religions monothéistes, on
constate
que nulle d’entre elles n’appelle à l’intolérance. Cependant,
certains
individus
tentent d’exploiter — surtout à des fins politiques — les
différentes
religions,
en les conduisant assez souvent vers l’intégrisme et le refus
des
principes de la société civique.
En utilisant le terme
«intégrisme», je n’ai pas
seulement à l’esprit l’intégrisme islamique.
Il
suffit de jeter un oeil sur ce qui se passe en Irlande du Nord, où
les
conflits
entres protestants et catholiques perdurent.
Vous ne le savez
peutêtre pas,
mais de nombreux catholiques et protestants ont adhéré à l’Église orthodoxe,
à la suite de ces conflits et de la réforme des doctrines
ecclésiastiques.
Le
même fait est aussi constaté aux États-Unis, en Belgique et
dans
d’autres pays dont les traditions religieuses ne sont pas
orthodoxes.
Ces
changements entrent dans le cadre des droits attachés à la liberté
religieuse.
Je
ne saurais aligner le christianisme orthodoxe parmi les confessions
intégristes.
En effet, celui-ci est conservateur et n’admet aucune modification
de
sa doctrine.
Pour
les chrétiens orthodoxes, le libre choix est une valeur essentielle.
Tout
choix fait à la suite d’une violence n’est pas acceptable. C’est
la raison
pour
laquelle les croisades et le massacre des hérétiques, ainsi que les
supplices
du bûcher, leur sont étrangers.
Les
bogomiles bulgares, dont sont issus les cathares et les Albigeois, en
France,
ont été condamnés lors d’un concile, mais cela n’a eu qu’un
effet
moral
à l’époque : ils n’ont pas été persécutés.
De plus,
jusqu’au XVIIe siècle, la
religion officielle en Bosnie était le bogomilisme. Jusqu’au
XVIIIe siècle, on trouvait
encore des cimetières pauliens à Plovdiv, comme on peut le
constater sur
les anciennes cartes qui ont été conservées, malgré les
différences religieuses.
Les pauliens sont une variété de bogomiles qui se sont convertis
au
catholicisme au XVIIe siècle.
Dieu
tolère les différences pour que l’homme puisse choisir en toute
conscience
la voie de son salut, qui est unique — Jésus-Christ, dont le corps
est
l’Église, c’est-à-dire la communauté, la confrérie chrétienne
orthodoxe.
Le
choix qui résulte d’une violence n’a donc aucune valeur.
Si je
dis cela, c’est
parce que nous nous trouvons en Bulgarie, pays où la confession
traditionnelle est
l’orthodoxie.
L’orthodoxie
respecte le principe de la liberté religieuse et de l’humanisme,
et
cela ne date pas d’hier. En voici un exemple : le sauvetage des
juifs bulgares, entre 1942 et 1943, dans
lequel l’Église orthodoxe bulgare a joué un
rôle
primordial, avec son Exarque Stéphane et le Métropolite de Plovdiv
Cyrille,
devenu plus tard Patriarche.
Quel meilleur exemple pourrait-on donner
de la tolérance religieuse que celle manifestée à l’égard
d’hétérodoxes?
D’autres
activités sont menées dans cette direction par un autre dirigeant
spirituel,
le chef de la "Fraternité blanche", Petar Dunov, qui agit par
l’intermédiaire
du conseiller du Tzar, Lyubomir Lultchev, un de ses coreligionnaires.
Les 9 et 10 mars prochains, nous célébrerons le sauvetage des
juifs bulgares suscité, pendant l’Holocauste,
par Dimitar Pechev, Viceprésident de
l’Assemblée Nationale de l’époque et 43 députés de la majorité.
Cet acte moral, qui n’était pas sans
risque, a montré que, durant cette
période, un esprit de tolérance régnait
en Bulgarie.
C’est ainsi que plus de
48 000 juifs ont pu être
sauvés — un fait inconnu, à l’époque,
qui s’est déroulé dans un territoire
sous le contrôle de Hitler.
Je voudrais aussi rappeler que la Bulgarie
a ouvert ses portes auxréfugiés arméniens turcs et qu’ils ont
été très cordialement accueillispar les Bulgares orthodoxes,
malgré les
différences religieuses quiles séparaient.
On pourrait également
mentionner qu’entre
les années 1984 et 1989, lors des
persécutions perpétrées par
le régime communiste sur les Turcs
domiciliés en Bulgarie, le peuple a refusé
d’entrer dans cette violence et a
manifestébeaucoup de compassion à l’égard
de ces derniers.
Lors des fêtes
religieuses, par exemple, les voisins, qui appartenaient à des
cultesdifférents, s’offraient des gâteaux et des oeufs rituels
colorés. Cette tolérance peut être
donnée en exemple.
Elle montre qu’il ne faut pas forcément
s’engager sur la voie de l’oecuménisme pour obtenir de
bons résultats etjouir du pluralisme religieux. L’oecuménisme est
d’ailleurs toujours contestédans les milieux orthodoxes.
J’en
veux pour preuve les dernières protestationsémanant du Monastère
“Esphigmen”,
du mont Athos, qui critiquent certaines
actions oecuméniques du Patriarche
Oecuménique Bartholomé I-er.
Cela
ne signifie pourtant pas que l’on ne doive pas tenter d’établir
un
dialogue,
de développer un esprit de tolérance et de respect ou de chercher
à
connaître l’autre. Il ne me semble pas nécessaire d’insister
pour que des
prières
et des messes soient organisées en commun.
Cela pourrait provoquer la
résistance du clergé et d’autres cultes et, en fait, ce n’est
pas vraiment indispensable,
étant donné qu’on a choisi de dialoguer et de pratiquer la
tolérance à l’égard des différences.
Maintenir les différences
culturelles, ethniques,
religieuses, linguistiques, etc., à la base du traitement légal,
c’est en
cela que consiste le modèle européen qui triomphe aujourd’hui. De
cette manière,
la liberté religieuse ne nuit pas à la sécurité publique, bien au contraire,
elle y contribue.
Mais tout n’est pas acquis d’office,
évidemment, et
il faut lutter pour que ces deux valeurs soient respectées.
L’initiative
du Pape Jean-Paul II d’entamer prochainement une discussion
sur
la question du statut du pape et, plus particulièrement, sur le
principe
catholique
de la suprématie papale sur les autres épiscopats est un pas en
avant
dans cette direction. C’est une des questions qui, depuis mille
ans, divisent
l’Église
orthodoxe et l’Église catholique.
On pourrait aussi ajouter que le pape
a prononcé son credo en omettant «et du Fils» («fileoque») à la
manière de
l’Église orthodoxe, tel qu’on le prononçait à l’époque
précédant la scission.
Voila
donc un exemple de leader spirituel qui travaille non seulement pour
le
dialogue,
mais aussi pour l’union de l’Église, en revenant aux racines et
aux
dogmes
communs avant la scission.
Je
conclurai en souhaitant que ce colloque marque un pas en avant et
contribue
à la tolérance, au dialogue, à la connaissance mutuelle et au
respect
de la liberté religieuse, malgré les différences qui existent
entre les
êtres
humains.
Ce serait, en quelque sorte, un pas de plus vers le
changement
de
la mentalité des individus et de la société, pour construire un
monde
meilleur et une société plus juste et tolérante.
Avis | Doc. 12576 | 11 avril 2011
La dimension religieuse du dialogue interculturel
Commission des questions politiques et de la démocratieRapporteur : M. Latchezar TOSHEV, Bulgarie, PPE/DC
Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 3720 du 8 octobre 2010. Commission chargée du rapport: commission de la culture, de la science et de l’éducation. Voir Doc. 12553. Avis approuvé par la commission le 11 avril 2011. 2011 - Deuxième partie de session
A. Conclusions de la commission
La commission des questions politiques prend note du rapport de Mme Anne Brasseur intitulé «La dimension religieuse du dialogue interculturel», dans lequel la commission de la culture, de la science et de l’éducation aborde, à nouveau, une question sur laquelle l’Assemblée parlementaire a déjà pris position. La commission des questions politiques est globalement en accord avec les grandes lignes du projet de recommandation. Elle estime toutefois que le texte pourrait se rapprocher davantage des positions prises par l’Assemblée par le passé.
B. Amendements proposés au projet de recommandation
Amendement A (au projet de recommandation)
Dans le projet de recommandation, paragraphe 8, remplacer les mots «se reconnaissent réciproquement» par les mots «se reconnaissent mutuellement le droit à la liberté de religion et de conviction».Amendement B (au projet de recommandation)
Dans le projet de recommandation, paragraphe 8, supprimer le mot «nouvelle».Amendement C (au projet de recommandation)
Dans le projet de recommandation, paragraphe 10, remplacer les mots «qui acceptent les valeurs fondamentales communes» par «qui respectent la loi».Amendement D (au projet de recommandation)
Dans le projet de recommandation, paragraphe 10, remplacer les mots «des personnes ayant des convictions humanistes qui adhèrent à ces mêmes valeurs fondamentales» par les mots «des personnes sans croyances religieuses».Amendement E (au projet de recommandation)
Dans le projet de recommandation, paragraphe 12, remplacer les mots «les associations humanistes» par les mots «les associations non religieuses pertinentes».Amendement F (au projet de recommandation)
Dans le projet de recommandation, paragraphe 17.1, remplacer les mots «les religions et les principales organisations humanistes» par les mots «les institutions religieuses et les organisations non religieuses pertinentes».C. Exposé des motifs, par M. Toshev, rapporteur pour avis
1. Le dialogue ne peut qu’être
bénéfique pour la société et devrait être encouragé, en
particulier le dialogue entre différentes expériences culturelles.
Comme le fait remarquer à juste titre Mme Brasseur, le Conseil de
l’Europe traite de cette question dans son «Livre blanc sur le
dialogue interculturel» de 2008.
2. Compte tenu du caractère
multiculturel de l’Europe, le dialogue interculturel est essentiel
à la cohésion sociale. Bien qu’ils n’aient pas le même
héritage historique et culturel, les peuples d’Europe sont unis
par des valeurs universelles communes: la démocratie, la primauté
du droit et le respect des droits de l’homme, notamment le respect
de la diversité culturelle.
3. La religion est une dimension de la
culture à laquelle beaucoup accordent une grande importance, ce qui
influence leur façon d’appréhender les réalités de ce monde. La
religion a joué un rôle majeur dans l’histoire de l’Europe,
notamment dans la création d’un système de valeurs communes. Le
caractère laïc de l’Europe d’aujourd’hui ne va pas dans le
sens de l’élimination du rôle public des religions en tant que
vecteurs de valeurs.
4. Nous devons saluer les efforts
déployés par plusieurs chefs religieux pour promouvoir la paix, la
tolérance et la compréhension mutuelle, et pour éliminer la haine
au sein des peuples de différentes religions et cultures. Citons
l’exemple de l’initiative Vlatadon du Patriarcat œcuménique de
l’Eglise orthodoxe, qui a rassemblé des hauts représentants de
différentes religions de la région des Balkans en 2001 en vue de
favoriser la tolérance entre les différentes religions; la Journée
mondiale de la prière pour la paix à Assise (initiative de l’Eglise
catholique sous le pontificat du pape Jean-Paul II) réunissant des
représentants de différentes religions; la lettre ouverte aux
chrétiens de 2007 signée par 138 dignitaires de l’islam; le
Dialogue théologique entre l’Eglise orthodoxe et l’Eglise
catholique et l’adoption du document conjoint de Ravenne.
5. Dans sa Recommandation
1804 (2007) «Etat, religion, laïcité et droits de l’homme»,
l’Assemblée recommandait au Comité des Ministres de recenser et
de diffuser des exemples de bonnes pratiques en matière de dialogue
avec des responsables des communautés religieuses. Pour le
rapporteur, un exemple en la matière est celui de la participation
active de hauts représentants de l’Eglise orthodoxe bulgare au
sauvetage de l’ensemble de la communauté juive de Bulgarie en
1943, durant l’Holocauste.
6. Dans cette même recommandation,
l’Assemblée réaffirme «qu’une des valeurs communes en Europe,
qui transcende les différences nationales, est la séparation de
l’Eglise et de l’Etat». C’est un principe généralement admis
qui domine la vie politique et institutionnelle dans les pays
démocratiques. Ainsi, dans sa Recommandation
1720 (2005) sur l’éducation et la religion, l’Assemblée
notait que «la religion de chacun, y inclus l’option de ne pas
avoir de religion, relève du domaine strictement privé».
7. Il n’existe pas de disposition
unique en Europe pour les relations entre les Etats et les
communautés religieuses. Dans les Etats membres du Conseil de
l’Europe, on rencontre différents dispositifs: le modèle
prévoyant une séparation claire entre l’Etat et les religions,
celui de «l’Eglise d’Etat», celui du «concordat» entre
l’Eglise et l’Etat et celui de «l’Eglise prédominante». Tous
ces modèles sont compatibles avec l’article 9 de la
Convention européenne des droits de l’homme. Dans certains Etats
membres, aucune disposition particulière ne s’applique à ces
relations.
8. L’Assemblée reconnaît
l’importance du dialogue interculturel et sa dimension religieuse,
et se déclare «prête à participer à l’élaboration d’une
stratégie globale du Conseil de l’Europe en la matière». Elle
estime cependant que, «dans le respect du principe de séparation de
l’Eglise et de l’Etat, le dialogue interreligieux ou
interconfessionnel n’est pas du ressort des Etats ou du Conseil de
l’Europe».
9. Les religions, au même titre que
les autres parties prenantes, sont en droit d’exprimer leurs points
de vue sur la société. Des douzaines d’organisations religieuses
et non religieuses sont déjà représentées au Conseil de l’Europe,
en vertu du statut participatif des organisations non
gouvernementales.
10. Comme l’a maintes fois affirmé
l’Assemblée, la liberté d’expression est l’un des droits de
l’homme les plus importants. Le projet de recommandation présenté
par la commission de la culture, de la science et de l’éducation
indique dans son paragraphe 4 que «la liberté de religion ainsi que
la liberté d’avoir une vision philosophique ou laïque du monde
sont indissociables de l’acceptation sans réserve, de la part de
tous, des valeurs fondamentales inscrites dans la Convention». Au
paragraphe 10, l’Assemblée rappelle «la nécessité de
sauvegarder les droits des personnes ayant des convictions humanistes
qui adhèrent à ces mêmes valeurs fondamentales». Dans la mesure
où la protection des droits de chacun ne peut être subordonnée à
l’acceptation ou à l’adhésion aux valeurs, je propose – dans
un souci de clarté et pour éviter toute équivoque – une
légère reformulation de certains passages.
11. Le même paragraphe 10 fait
référence aux «personnes ayant des convictions humanistes». Cela
pouvant paraître restrictif, je propose de remplacer cette
expression par «personnes non croyantes». Pour la même raison, il
serait judicieux de remplacer, à l’alinéa 17.1, «principales
organisations humanistes» par «représentants des associations non
religieuses pertinentes».
12. Toujours au paragraphe 10, il est
fait référence à l’obligation qu’ont les Etats de «veiller à
(…) éviter qu’un soutien privilégié accordé à certaines
religions ne devienne, dans les faits, disproportionné et
discriminatoire». Pour éviter toute équivoque et par souci de
clarté, il serait préférable de supprimer le qualificatif
«discriminatoire».
La dimension religieuse du dialogue interculturel
Auteur(s) : Assemblée parlementaireOrigine - Discussion par l'Assemblée le 12 avril 2011 (12e et 13e séances) (voir Doc. 12553, rapport de la commission de la culture, de la science et de l'éducation, rapporteur: Mme Brasseur; et Doc. 12576, avis de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Toshev). Texte adopté par l'Assemblée le 12 avril 2011 (13e séance).
1. L’Assemblée parlementaire
constate l’intérêt grandissant pour les questions concernant le
dialogue interculturel dans un contexte européen et mondial où les
efforts de rapprochement et de collaboration entre communautés au
sein de nos sociétés et entre les peuples, pour construire ensemble
le bien commun, sont mis constamment en danger par des
incompréhensions, de fortes tensions, voire des actes barbares de
haine et de violence.
2. L’Assemblée se réjouit de la
dynamique positive qui se développe au sein du Conseil de l’Europe
et qui favorise une approche intégrée des questions concernant le
dialogue interculturel et sa dimension religieuse. Le Livre blanc sur
le dialogue interculturel – Vivre ensemble dans l’égale dignité
et les rencontres annuelles organisées par le Comité des Ministres
sur «La dimension religieuse du dialogue interculturel» sont en
quelque sorte l’aboutissement de cette approche.
3. L’article 9 de la Convention
européenne des droits de l’homme («la Convention», STE no 5)
garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de
religion. Cette liberté représente l’une des assises d’une
«société démocratique» au sens de la Convention; elle figure,
dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus
essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la
vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les
agnostiques, les sceptiques ou les indifférents.
4. L’affirmation de ce droit
inaliénable implique la liberté pour chacun d’avoir (ou non) une
religion et de manifester sa religion individuellement et en privé,
ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont
on partage la foi. Les Eglises et communautés religieuses ont, en
Europe, le droit d’exister et de s’organiser de manière
autonome. Néanmoins, la liberté de religion ainsi que la liberté
d’avoir une vision philosophique ou laïque du monde sont
indissociables de l’acceptation sans réserve, de la part de tous,
des valeurs fondamentales inscrites dans la Convention.
5. Ces valeurs doivent nous rassembler,
mais il est également important de reconnaître les différences
culturelles qui existent entre personnes de convictions différentes.
Les différences, dans la mesure où elles sont compatibles avec le
respect des droits de l’homme et des principes à la base de la
démocratie, ont non seulement le droit d’exister, mais contribuent
également à la détermination de l’essence de nos sociétés
plurielles.
6. Le modèle européen est par
définition multiculturel et il faudrait prendre en considération
les différences résultant d’un vécu historique diversifié.
Néanmoins, les valeurs communes telles que le respect mutuel, la
protection des droits fondamentaux, la démocratie, la tolérance,
l’acceptation que les différences sont un fait normal et la vision
d’un futur commun doivent être renforcées davantage.
7. Le problème réside souvent dans
notre attitude face à la diversité. L’Assemblée insiste sur la
nécessité pour chacun d’apprendre à partager ses différences de
manière positive et à accueillir l’autre avec les siennes, afin
de construire des sociétés cohésives, ouvertes à la diversité et
respectueuses de la dignité de toute personne. A cette fin,
l’Assemblée est persuadée de l’importance de la dimension
religieuse du dialogue interculturel, ainsi que de l’importance de
la collaboration entre les communautés religieuses, pour la
promotion des valeurs qui constituent le socle commun de nos sociétés
européennes et de toute société démocratique.
8. L’Assemblée estime qu’il est
non seulement souhaitable, mais aussi nécessaire que les diverses
Eglises et communautés religieuses – et notamment les chrétiens,
les juifs et les musulmans – se reconnaissent mutuellement le droit
à la liberté de religion et de conviction. Il est également
indispensable que les personnes de toutes les convictions et de
toutes les visions du monde, qu’elles soient religieuses ou non,
acceptent d’intensifier le dialogue en s’appuyant sur
l’affirmation commune de l’égale dignité de toutes les
personnes et sur l’adhésion sans réserve aux principes
démocratiques et aux droits de l’homme. Ce sont là deux
conditions essentielles pour développer une nouvelle culture du
vivre ensemble. L’Assemblée appelle donc toutes les Eglises et les
communautés religieuses à poursuivre leurs efforts de dialogue, y
compris avec les mouvements humanistes, afin de travailler à
l’unisson pour atteindre l’objectif d’une garantie effective de
ces valeurs partout, en Europe et dans le monde.
9. Il incombe aux Etats de mettre en
place les conditions nécessaires au pluralisme religieux et de
convictions, et d’assurer le respect effectif de la liberté de
pensée, de conscience et de religion, tel que garanti par l’article
9 de la Convention.
10. L’Assemblée rappelle à cet
égard l’obligation pour les Etats de veiller à ce que toutes les
communautés religieuses qui acceptent les valeurs fondamentales
communes puissent bénéficier de statuts juridiques appropriés
garantissant l’exercice de la liberté de religion et d’éviter
qu’un soutien privilégié accordé à certaines religions ne
devienne, dans les faits, disproportionné et discriminatoire. Les
Etats doivent également réconcilier les droits des communautés
religieuses avec la nécessité de sauvegarder les droits des
personnes sans croyance religieuse qui adhèrent à ces mêmes
valeurs fondamentales.
11. L’Assemblée considère qu’il
est nécessaire de développer un partenariat dynamique et fructueux
entre les institutions publiques, les communautés religieuses et les
groupements s’inspirant d’une vision non religieuse. La
reconnaissance par les diverses confessions religieuses et par les
convictions non religieuses de la dignité humaine comme un bien
essentiel et universel constitue le point de départ commun.
12. De ce fait, l’Assemblée
recommande aux autorités publiques aux niveaux local et national de
faciliter les rencontres organisées dans le cadre du dialogue
interreligieux ainsi que d’encourager et de soutenir les projets
développés en commun par plusieurs communautés, y compris avec les
associations humanistes et non religieuses, qui visent à consolider
les liens sociaux à travers, par exemple, la promotion d’une
solidarité intercommunautaire, l’attention à l’égard des
personnes les plus vulnérables et la lutte contre les
discriminations.
13. L’Assemblée réaffirme
l’importance et le rôle du système éducatif pour la connaissance
et la compréhension des différentes cultures, y compris les
croyances et les convictions qui les caractérisent, et pour
l’apprentissage des valeurs démocratiques et du respect des droits
de l’homme. Elle recommande aux Etats et aux communautés
religieuses de reconsidérer ensemble, sur la base des orientations
données par le Conseil de l’Europe, les questions de
l’enseignement du fait religieux, de l’enseignement confessionnel
et de la formation des enseignants et des ministres du culte ou
cadres religieux, en suivant une approche holistique.
14. L’Assemblée souligne que le
principe de neutralité de l’Etat s’applique à l’enseignement
religieux dans le cadre scolaire et que, selon la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme, il incombe aux autorités
nationales de veiller avec la plus grande attention à ce que les
convictions religieuses et non religieuses des parents ne soient pas
heurtées.
15. Pour l’Assemblée, le défi est
aujourd’hui de trouver l’accord et l’équilibre nécessaires
afin que l’enseignement du fait religieux devienne une opportunité
de rencontre et d’écoute réciproque. Elle recommande aux Etats et
aux communautés religieuses de faire des efforts concertés dans
cette direction et invite les Etats à se donner les moyens
nécessaires pour passer des déclarations aux réalisations sur le
terrain. Il serait hautement recommandable que chaque enseignant,
tous types d’enseignement et filières confondus, suive pendant sa
formation un module le familiarisant avec les courants de pensées
majeurs.
16. L’Assemblée rappelle que
l’autonomie interne des institutions religieuses quant à la
formation des cadres religieux est un principe inhérent à la
liberté de religion. Néanmoins, cette autonomie est limitée par
les droits fondamentaux, les principes démocratiques et l’Etat de
droit, que nous avons en commun. Dès lors, l’Assemblée invite les
institutions et les responsables religieux à réfléchir, si
possible ensemble et dans le cadre du dialogue interreligieux, sur la
manière appropriée de mieux former leurs cadres religieux:
16.1. à la connaissance et à la
compréhension des autres religions et convictions ainsi qu’à
l’ouverture, au dialogue et à la collaboration entre communautés
religieuses;
16.2. au respect des droits
fondamentaux, des principes démocratiques et de l’Etat de droit,
comme assise commune de ce dialogue et de cette collaboration.
17. L’Assemblée recommande au Comité
des Ministres:
17.1. de promouvoir un véritable
partenariat pour la démocratie et les droits de l’homme entre le
Conseil de l’Europe, les institutions religieuses et les
organisations humanistes et non religieuses, visant à favoriser
l’engagement actif de toutes les parties prenantes dans des actions
de promotion des valeurs fondamentales de l’Organisation;
17.2. de créer, pour ce faire, un
espace de dialogue, une table de travail entre le Conseil de l’Europe
et de hauts représentants de religions et d’organisations non
confessionnelles, afin d’asseoir les relations existantes sur une
plate-forme stable et formellement reconnue;
17.3. de développer cette initiative
en concertation avec les parties intéressées, d’y associer
étroitement l’Assemblée parlementaire et, dans toute la mesure du
possible, l’Union européenne, et d’inviter l’Alliance des
civilisations – ONU et éventuellement d’autres partenaires à y
contribuer;
17.4. de poursuivre, dans ce contexte,
l’organisation de rencontres thématiques sur la dimension
religieuse du dialogue interculturel.
18. L’Assemblée recommande, en
outre, au Comité des Ministres:
18.1. de promouvoir l’adhésion des
Etats du Bassin méditerranéen à la Commission européenne pour la
démocratie par le droit (Commission de Venise), à l’Accord
partiel sur la mobilité des jeunes par la Carte Jeunes et au Centre
européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales
(Centre Nord-Sud);
18.2. d’inviter tous les Etats
membres à soutenir tout projet ciblé que le Centre Nord-Sud
pourrait développer pour renforcer les dynamiques positives de la
dimension religieuse du dialogue interculturel au-delà des
frontières du continent européen, sur le plan interrégional et/ou
global;
18.3. d’accroître les moyens alloués
au projet sur les cités interculturelles, dans lequel il
conviendrait d’intégrer explicitement la dimension religieuse du
dialogue interculturel;
18.4. d’offrir davantage de soutien
aux travaux du Centre européen Wergeland à Oslo, notamment pour
développer sa capacité de collaborer avec les Etats membres du
Conseil de l’Europe sur des projets concernant la dimension
interculturelle et interreligieuse de la formation des enseignants et
des éducateurs.
19. L’Assemblée invite l’Union
européenne, en particulier le Parlement européen et la Commission
européenne, ainsi que son Agence des droits fondamentaux, à
développer des programmes communs avec le Conseil de l’Europe dans
le domaine de l’éducation à la citoyenneté démocratique et de
l’éducation aux droits de l’homme, s’appuyant sur la Charte
que le Comité des Ministres a adoptée le 11 mai 2010
(Recommandation CM/Rec(2010)7), ainsi que dans le domaine du dialogue
interculturel et interreligieux.
20. L’Assemblée invite l’Alliance
des civilisations – ONU à développer des programmes communs avec
le Conseil de l’Europe visant à accroître les synergies dans
l’action des deux organisations en Europe.
SESSION ORDINAIRE DE 2011
________________
(Deuxième partie)
COMPTE RENDU
de la douzième séance
Mardi 12 avril 2011 à 10 heures
(...)
3. La dimension religieuse du dialogue
interculturel
LE PRÉSIDENT* – L’ordre du jour
appelle la discussion du rapport sur la dimension religieuse du
dialogue interculturel, présenté par Mme Brasseur, au
nom de la commission de la culture, de la science et de l’éducation
(Doc. 12553), ainsi que de l’avis présenté par M. Toshev, au
nom de la commission des questions politiques (Doc. 12576).
Après avoir écouté Mme la rapporteure, nous aurons le
plaisir d’entendre : Sa Béatitude le Patriarche Daniel de
Roumanie ; Son Eminence le cardinal Jean-Louis Tauran,
président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux,
Cité du Vatican ; M. le professeur Mehmet Görmez, président
de la direction des affaires religieuses de la République de
Turquie ; M. Berel Lazar, Grand Rabbin de Russie ; M.
le Prélat Bernhard Felmberg, représentant plénipotentiaire du
Conseil de l’Eglise protestante en Allemagne auprès de la
République fédérale d'Allemagne et de l'Union européenne.
Nous devrons interrompre la liste des orateurs vers
13 heures et nous reprendrons le débat cet après-midi vers
16 heures. Il sera suivi d’un vote sur le projet de
recommandation.
Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé, au
cours de sa séance d’hier matin, de limiter le temps de parole des
orateurs à trois minutes.
Mme Brasseur, vous disposez d’un temps
de parole total de treize minutes, que vous pouvez répartir à
votre convenance entre la présentation de votre rapport et la
réponse aux orateurs. Vous avez la parole.
(...)
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M.
Toshev, rapporteur pour avis de la commission des questions
politiques.
M. TOSHEV (Bulgarie), rapporteur pour avis de la
commission des questions politiques* – Le dialogue
interculturel est au cœur même des principes du Conseil de l'Europe
puisque l’Europe est une communauté interculturelle de nations
indépendantes. Malgré leurs différences, les citoyens européens
sont voués à partager un avenir commun. L’Europe est unie par des
valeurs communes, telles que le respect mutuel, la protection des
droits de l’homme, la démocratie, la tolérance et la
reconnaissance des différences entre les individus. Afin de
construire une véritable communauté européenne, le dialogue entre
les peuples doit revêtir une dimension religieuse.
Les religions, en Europe, ont joué un rôle tout au
long de son histoire, non pas seulement pour mettre en place un
système de valeurs, mais aussi pour renforcer l’interaction entre
les différentes cultures. C’est ce qui a permis de créer un
environnement propice au multiculturalisme.
Pour certains, la religion n’est qu’une
tradition, alors que pour d’autres elle constitue l’essence même
de leur vie. L’intégrité, la foi, l’espérance et la justice
sont indissociables pour eux.
La communauté juive bulgare a été sauvée grâce
à la participation de l’église orthodoxe bulgare en 1943, au
cours de l’holocauste, soit un témoignage exemplaire de la
solidarité entre les religions lorsque les valeurs prennent le pas
sur les clivages.
Les religions jouent un rôle important pour
promouvoir nos valeurs communes et sont de ce fait indispensables aux
sociétés européennes. Elles doivent prendre une part active au
dialogue concernant les libertés religieuses, la citoyenneté
démocratique, la lutte contre le racisme, l’intolérance et la
xénophobie. Dans une société pluraliste, on attend des croyants
qu’ils respectent le même principe de liberté de croyance que
celui dont ils bénéficient eux-mêmes.
La commission des questions politiques a pris acte
du rapport de Mme Brasseur sur la dimension religieuse du
dialogue interculturel, sujet sur lequel l’Assemblée s’est
d’ores et déjà prononcée. La commission des questions politiques
approuve les grandes orientations du rapport mais estime que certains
points mériteraient d’être mis davantage en conformité avec des
dispositions précédemment adoptées.
LE PRÉSIDENT* – Les religions sont
fondées sur la tolérance, la compassion et le respect de la dignité
humaine. Elles jouent un rôle inestimable pour promouvoir la
compréhension entre les personnes, la solidarité et la cohésion
sociale. En outre, elles favorisent la promotion des valeurs
fondamentales qui fondent nos sociétés et qui sont essentielles au
dialogue interculturel.
Nous avons invité aujourd’hui cinq personnalités
religieuses dont les positions en faveur du dialogue interculturel
sont connues.
Votre Béatitude, Patriarche Daniel de Roumanie,
vous avez étudié la théologie en Roumanie, en France et en
Allemagne. Vous incarnez la multiculturalité et nous sommes certains
que votre allocution sera passionnante.
Monseigneur Tauran, vous jouez un rôle essentiel à
Rome et au sein des organisations internationales en ce qui concerne
le dialogue interculturel. Votre expérience de diplomate nous sera
très utile.
Monsieur le Grand Rabbin, vous êtes arrivé à la
tête de la communauté juive de Russie au début des années 1990,
au moment où le pays se transformait radicalement, évoluant vers la
démocratie et le pluralisme. Votre expérience personnelle nous sera
également très précieuse.
Professeur Görmez, vous représentez les autorités
religieuses turques. La Turquie est le pays où vit le plus grand
nombre de musulmans en Europe. La religion musulmane y coexiste avec
bien d’autres religions et identités culturelles. Votre expérience
de la gestion de cette diversité nous intéresse au plus haut point.
Enfin, monsieur le Prélat Felmberg, vous êtes non
seulement un dignitaire religieux mais également un diplomate,
puisque vous représentez le Conseil de l’Eglise protestante en
Allemagne auprès de l’Union européenne. Vous aurez certainement
beaucoup de choses à nous apprendre sur les meilleures pratiques
pour gérer la dimension multireligieuse de l’Europe des 47 Etats.
Votre Béatitude, Patriarche Daniel de Roumanie,
vous avez à présent la parole.
SA BÉATITUDE LE PATRIARCHE DANIEL DE
ROUMANIE – Après votre élection à la présidence de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, monsieur le
Président, vous avez placé le dialogue interreligieux au centre de
votre mandat. C’est ainsi qu’il a été décidé de réunir à
Strasbourg, lors de la session de printemps de l’Assemblée,
plusieurs personnalités religieuses européennes afin qu’elles
expriment leurs points de vue sur le paysage religieux de l’Europe
et du monde et sur les moyens d’aboutir à une meilleure entente et
reconnaissance entre les religions. Cela s’inscrit dans les travaux
du Conseil de l’Europe sur la dimension religieuse du dialogue
interculturel, sans doute sa dimension la plus profonde. Nous tenons
à vous remercier, monsieur le Président, ainsi que toutes les
personnes qui ont permis cette rencontre.
Tous les efforts du Conseil de l’Europe afin de
promouvoir la réflexion commune sur la dimension religieuse du
dialogue interculturel en Europe méritent notre attention et notre
reconnaissance. Le Conseil de l’Europe constate aujourd’hui que
la diversité culturelle est devenue source de tensions et de
clivages qui brisent la cohésion sociale. Par conséquent, il faut
développer une nouvelle culture du vivre ensemble en partant de
l’affirmation de l’égale dignité de toutes les personnes et de
l’adhésion aux principes démocratiques et aux droits de l’homme.
Il est donc nécessaire de cultiver le dialogue au
niveau local et régional ainsi qu’une collaboration dynamique
entre les institutions publiques, les collectivités religieuses et
les groupements non religieux. La commission de la culture, de la
science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire propose
de promouvoir un partenariat pour la démocratie et les droits de
l’homme entre le Conseil de l’Europe, les religions et les
principales organisations humanistes.
Le projet de recommandation souligne l’importance
de l’enseignement du fait religieux, qui doit devenir une
opportunité de rencontre et d’écoute réciproque. Tous ces
principes doivent encourager le dialogue interreligieux et
interculturel.
Au fur et à mesure qu’elle se structure par le
dialogue et la coopération, l’Europe prend conscience de ce qui
constituait la matrice de son origine et dont on n’a pas
suffisamment tenu compte dans sa construction, c’est-à-dire la
dimension religieuse de sa culture. En effet, les politiques et leurs
experts se sont préoccupés tour à tour des problèmes économiques,
politiques, éducatifs et culturels, quelquefois militaires. Or, ces
derniers temps, des tensions à caractère religieux surgissent aux
portes de l’Europe entre individus ou entre communautés. Ils
inquiètent par leur intensité ou leur étendue. Des événements
dramatiques comme les violences contre les chrétiens en Irak, en
Iran, en Egypte et ailleurs, les corans brûlés et les attentats qui
s’ensuivent, imposent aux hommes politiques et aux organismes
internationaux de réfléchir et de réagir afin d’éviter que de
tels drames ne se reproduisent et touchent les pays européens.
Ces événements rendent encore plus urgent de
trouver des solutions aux problèmes créés par l’immigration
massive des populations de différentes cultures et religions en
Europe, phénomène qui affaiblit la cohésion sociale dans beaucoup
de pays.
Comment le migrant ou l’étranger peut-il
s’intégrer dans un contexte religieux et culturel différent du
sien tout en préservant son identité religieuse et culturelle
d’origine ? Comment éviter en même temps l’isolement
crispé et la dissolution de son identité ? Il est nécessaire
de développer une culture du vivre ensemble qui permette d’éviter
la transformation de la diversité en adversité, et de confondre
l’identité avec l’isolement. Une éducation ouverte sur les
autres est nécessaire dans la famille, dans l’école mais aussi
dans la communauté religieuse ou confessionnelle qu’on fréquente,
car l’éducation scolaire soutenue et contrôlée par l’Etat
national n’est plus suffisante. À ce sujet, l’expérience de la
diaspora orthodoxe roumaine en Italie, où vivent environ un million
de Roumains, et en Espagne, où vivent aussi presque un million de
Roumains, est assez encourageante. Dans un grand nombre de paroisses,
la catéchèse et la transmission de la foi à la minorité roumaine
se font dans un esprit œcuménique d’ouverture sur la culture de
la majorité catholique italienne ou espagnole.
Cette approche en même temps pastorale et
œcuménique permet une intégration sociale sans dissolution de
l’identité religieuse et culturelle. Cependant, l’éducation et
la formation permanentes pour une cohabitation pacifique ont besoin
d’un mûrissement spirituel où la liberté individuelle ou
collective est aussi unie à la responsabilité et à la solidarité
sociale, de même que l’affirmation de ses propres valeurs
spirituelles et culturelles ne se fait pas contre les personnes et
les communautés différentes, mais avec les autres. Les pays où les
différentes religions cohabitent sur le même territoire depuis des
siècles en ont une profonde et riche expérience, car ils ont mieux
appris comment éviter ou surmonter les conflits religieux et
ethniques.
Dans cet esprit, les patriarcats orthodoxes du
Moyen-Orient, de Constantinople, de la Russie et d’autres pays ont
pris l’initiative de promouvoir le dialogue interreligieux au
niveau des chefs des cultes et des experts dans ce domaine, pour
donner des signes positifs en vue d’une éducation pour la
cohabitation pacifique et la cohésion sociale. Sa Sainteté le
Patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople y a beaucoup
contribué par ses efforts. Cependant, le dialogue interreligieux au
niveau national et international entre les représentants de
différentes religions doit être complété par une éducation et
une formation permanentes favorables au dialogue interreligieux dans
les écoles publiques, dans les écoles théologiques des confessions
et des religions, ainsi que dans les communautés liturgiques, afin
que le dialogue ne se réalise pas par une simple directive ou
recommandation venue de l’extérieur, mais qu’il devienne un état
d’esprit et une pratique habituelle, pour le bien commun des cultes
religieux et de la société.
Dans cette perspective, le 14 avril, par
l’initiative du patriarcat roumain, aura lieu à Bucarest une
rencontre des chefs de dix-huit cultes officiellement reconnus en
Roumanie, afin de créer un conseil consultatif des cultes religieux
dont le but n’est pas seulement d’éviter des conflits entre les
différentes religions et confessions, mais aussi d’encourager le
dialogue et la coopération pour le bien commun de la société
roumaine, confrontée à la crise économique, à la migration et à
d’autres problèmes sociaux. Ce dialogue est possible aussi parce
que, depuis des décennies, dans nos écoles de théologie orthodoxe
de Roumanie, on enseigne l’histoire des religions et l’œcuménisme,
sans avoir peur de perdre l’identité orthodoxe à travers le
dialogue et la coopération avec les autres cultes au niveau national
ou international.
En même temps, par le dialogue interreligieux, nous
devons apprendre comment faire face à des problèmes nouveaux de la
société, comme la liberté dépourvue de responsabilité, la
sécularisation ou la crise de la famille par exemple. En ce sens, la
liberté religieuse doit s’affirmer aussi dans la coresponsabilité
sociale et la coopération œcuménique en faveur de la dignité
humaine et du bien commun. À ce sujet, il ne suffit pas d’affirmer
théologiquement la dignité de la personne humaine créée à
l’image de Dieu le créateur du ciel et de la terre, car il faut
aussi la défendre dans des contextes de violence, d’oppression, de
pauvreté, d’injustice, d’humiliation et de marginalisation.
Pour défendre en tout temps et en tout lieu la
dignité humaine, les droits de l’homme, la liberté d’expression,
la démocratie, l’Etat de droit et d’autres valeurs qui
constituent la plate-forme du dialogue aujourd’hui, il est
nécessaire d’avoir de fortes convictions et de cultiver une
spiritualité profonde, semblable à celle des prophètes de la
Bible, à celle des pères de l’Eglise indivise ou à celle des
grands combattants pour la justice dans la société humaine. Les
valeurs qu’on cultive dans la société sécularisée actuelle
visent d’une manière exclusive la réalité terrestre, la vie de
l’homme dans sa relation avec l’Etat et avec ses concitoyens,
alors que la foi religieuse voit l’homme d’abord dans sa relation
avec le dieu créateur du ciel et de la terre, car la création ou la
nature est un don de Dieu à l’humanité pour être connu, cultivé
et devenir moyen de communion entre les personnes, les nations et les
générations à venir.
Entre le culte religieux et la culture humaine, il y
a un lien très profond. Le culte signifie « cultiver la
relation de l’homme ou de la communauté humaine avec le créateur
divin », alors que la culture signifie « cultiver la
relation de l’homme avec la création de Dieu ». Par
conséquent, dans l’histoire de la majorité des peuples, le culte
était la base ou la source de la culture nationale. La Bible ou les
livres de culte ont beaucoup contribué à la formation de la culture
nationale ou régionale, culture de la reconnaissance et de la
responsabilité, car, sans la terre, l’eau, l’air et la lumière
créés par Dieu, l’homme ne peut pas vivre. Toute crise
écologique, économique ou sociale nous appelle donc à la
responsabilité, à corriger des erreurs et à réviser notre
relation avec Dieu, la société et la nature. Les problèmes communs
nous appellent à une réflexion commune et à une action commune
pour le bien commun.
En dépit des différences de religion et de
culture, d’approche et de motivation devant la souffrance et
l’humiliation de la dignité humaine, les Eglises, les religions,
les Etats, les organisations internationales et les individus ont de
plus en plus une responsabilité commune pour la vie humaine et pour
la protection de la nature et de l’environnement. Par conséquent,
notre liberté spirituelle authentique se mesure à l’intensité de
notre charité ou solidarité à l’égard des personnes et des
peuples qui se trouvent en difficulté.
En guise de conclusion, nous voulons proposer cinq
repères pour le dialogue interreligieux et interculturel.
Premier repère : la dimension religieuse du
dialogue culturel est fondamentale pour l’Europe, car la religion a
été la matrice majeure de son identité. C’est pour cette raison
que toute crise profonde de l’Europe a toujours été plutôt une
crise d’identité spirituelle qu’une crise d’identité
culturelle. C’est le communisme athée qui, prétendant être le
système politique le plus « scientifique » et le plus
progressiste, même « l’avenir lumineux de toutes les
nations » comme on disait alors, a livré le plus acharné
combat contre l’identité spirituelle de l’Europe. Après sa
chute, les peuples libérés ont tout d’abord éprouvé dans leurs
vies cette vérité fondamentale : la liberté est un grand don
de Dieu et la religion authentique porte en elle les germes de la
résurrection en tant que victoire de la vérité sur le mensonge et
de la vie sur les ténèbres de la mort spirituelle et physique.
Deuxième repère : les valeurs proposées par
le Conseil de l’Europe en tant que plate-forme du dialogue
interreligieux, c’est-à-dire la dignité humaine, les droits de
l’homme, la démocratie, l’Etat de droit, la liberté
d’expression et d’autres, sont, à l’origine, des valeurs
européennes dérivées de la tradition judéo-chrétienne, ensuite
séparées d’elle pour être perçues comme des valeurs
universelles. Du point de vue religieux, il faut donner à ces
valeurs une profonde motivation théologique pour qu’elles soient
cultivées dans la vie d’une société où la foi joue un rôle
important. Ainsi la dignité humaine a une valeur infinie et
éternelle parce que l’homme a été créé à l’image de Dieu
infini et éternel, pour une existence éternelle, et que Dieu est
l’ami et l’avocat de l’humanité.
Troisième repère : l’éducation et la
formation permanente peuvent jouer un grand rôle dans le
développement du dialogue interreligieux, avec l’enseignement du
fait religieux et une ouverture sur les autres religions qui
n’implique pas de perdre sa propre identité. La famille, l’école,
la communauté ecclésiale ou religieuse et les médias peuvent y
contribuer grandement, surtout si l’Etat national offre des
conditions favorables au dialogue interreligieux et interculturel.
Quatrième repère : le dialogue interreligieux
et interculturel ne peut pas devenir une idéologie politique
imposée. Il peut plutôt proposer à la société une sagesse de
vie, un état d’esprit et une culture du vivre ensemble dans le
respect réciproque de la dignité humaine, par l’union de la vie
spirituelle avec l’action sociale.
Cinquième repère : le dialogue interreligieux
et interculturel appelle Etats et religions à la coresponsabilité
et à la coopération pour le bien commun de tous les pays de
l’Europe et de leurs relations avec les autres continents.
Une nouvelle culture du vivre ensemble doit plutôt
être une culture de saines relations humaines. Son succès dépendra
principalement de sa spiritualité non objectivable, qui est don de
Dieu, reçu et cultivé par les êtres humains dans leur relation à
Dieu et au monde.
LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie beaucoup,
Votre Béatitude, pour cette allocution tout à fait passionnante.
Je donne à présent la parole à Son Eminence le
Cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le
dialogue interreligieux, de la Cité du Vatican.
S.E. LE CARDINAL JEAN-LOUIS TAURAN, président du
Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Cité du Vatican
– Monsieur le Président, Béatitude, Excellences, mesdames et
messieurs, l’Eglise catholique et la culture sont de vieux
compagnons de route. Jésus en s’incarnant a assumé toutes les
dimensions de la personne humaine, y compris la dimension culturelle.
Dans sa constitution Gaudium et Spes, le Concile Vatican II
définit la culture en ces termes : « le mot « culture »
désigne tout ce par quoi l’homme anime et développe toutes les
multiples capacités de son esprit et de son corps ; s’efforce
de soumettre l’univers par la connaissance et le travail ;
humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que l’ensemble
de la vie civile, grâce au progrès des mœurs et des institutions ;
traduit, communique […] enfin dans ses œuvres, au cours des temps,
les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de
l’homme, afin qu’elles servent au progrès d’un grand nombre et
même de tout le genre humain ».
Effectivement, les croyants ont une manière de se
servir des choses, de travailler, de s’exprimer, de pratiquer leur
religion et d’enrichir les sciences et les arts qui apporte à la
communauté humaine toute entière une réponse aux grandes
interrogations qui tourmentent l’homme de toujours, celles
qu’Emmanuel Kant formulait ainsi : « Que puis-je
connaître, que dois-je faire, que puis-je espérer ? »
Le pape Jean-Paul II, lors de sa visite à
l’université de Coïmbra, au Portugal, au mois de mai 1982,
observait : « Dans le passé, quand on cherchait à
définir l’homme, on faisait presque toujours référence à la
raison ou à la liberté ou au langage. Les récents progrès de
l’anthropologie culturelle et philosophique montrent que l’on
peut obtenir une définition non moins précise de la réalité
humaine, en se référant à la culture. Celle-ci caractérise
l’homme et le distingue des autres êtres, non moins clairement,
par la raison, la liberté et le langage. » Lors de sa visite à
l’Unesco, le 2 juin 1980, le même pape n’hésitait pas
à conclure ainsi son discours : « Oui, l’avenir de
l’homme dépend de la culture ! »
En ce début de millénaire où la transmission des
valeurs est si difficile à réaliser, les tâches de la foi
chrétienne dans la culture paraissent plus que jamais évidentes. Il
ne s’agit pas de dicter aux hommes ce qu’ils ont à faire, il
s’agit de leur rappeler qu’ils sont les gérants des ressources
matérielles et morales de ce monde pour le bénéfice de tous, et
que s’impose donc à eux le devoir de les entretenir et de les
cultiver pour les générations futures.
Il leur appartient aussi de faire en sorte que leurs
contemporains ne soient jamais privés des sources de lumière ou des
propositions de sens capables de les éclairer et de les soutenir
face aux expérimentations sur l’humain, à l’avortement, à
l’euthanasie, à la banalisation de la sexualité, à la dictature
du paraître. Oui, les chrétiens ont à se faire complices de tout
ce qui, dans la culture, va encore, va toujours, va déjà dans le
sens de l’humain et de l’humanisation. C’est aussi cela aimer
ses frères en humanité. Enfin, ils ont à témoigner de la
singularité chrétienne, à avoir le courage de la différence.
Tous ensemble les croyants auront à cœur de
sensibiliser les législateurs comme les enseignants à l’opportunité
de toujours respecter la personne qui recherche la vérité face à
l’énigme de sa condition, d’éduquer au sens critique qui permet
de choisir entre le vrai et le faux, d’apprécier et de diffuser
les grandes traditions culturelles ouvertes à la transcendance qui
expriment si bien notre aspiration à la liberté et à la vérité.
De même il est important, en particulier, que les
jeunes soient égaux dans le dialogue interculturel et
interreligieux : ils doivent avoir la même possibilité
d’accéder à la connaissance de leur propre religion et de pouvoir
connaître la religion des autres. Ayons toujours la préoccupation
de les informer sur les autres manières de penser et de croire et
ainsi de dissiper les peurs. Nous nous enrichirons des manières de
penser des uns et des autres, en partageant le meilleur de nos
traditions spirituelles. Il s’agit non pas de faire des concessions
à la vérité, mais de connaître l’autre, de l’écouter, de
repérer ce que nous avons en commun et de mettre ce savoir faire –
ce savoir vivre – à la disposition de tous.
Il y a, vous le savez mieux que quiconque dans cette
enceinte, un humanisme européen d’origine chrétienne. Certes, on
ne doit pas sous-estimer la présence des juifs, l’apport de la
philosophie arabe, les questionnements des Lumières, mais c’est le
christianisme qui est à l’origine de grandes institutions
européennes : l’école, l’université, les hôpitaux… Cet
humanisme européen a pu rendre possible, le débat entre la raison
et la foi, cet humanisme ouvert à la transcendance qui, encore
aujourd’hui, malgré le sécularisme et le relativisme ambiants,
permet aux chrétiens et aux croyants en général, de rappeler la
priorité de l’éthique sur les idéologies du moment, le primat de
la personne sur les choses, la supériorité de l’esprit sur la
matière.
Me vient à la mémoire ce que Paul Valéry
observait dans une conférence qu’il donna à l’université de
Zurich à la fin de l’année 1922 : « Il y a l’Europe, là
où les influences de Rome sur l’administration, de la Grèce sur
la pensée, du Christianisme sur la vie intérieure, se font sentir
toutes les trois ».
En Europe, aucune religion ne peut prétendre
s’imposer par la ruse ou la force. En Europe on dialogue. En
Europe, la religion non seulement s’hérite, mais de plus en plus
se choisit. Parce que les religions sont aussi des cultures, l’Europe
demeure encore aujourd’hui un creuset du vivre ensemble dont
Strasbourg est le laboratoire et le symbole.
Voila pourquoi il est opportun que ne manquent
jamais ces espaces d’écoute et de partage, comme celui qui nous
rassemble ce matin. Ils nous permettent de connaître le vrai visage
des religions. Je souhaite que le Conseil de l’Europe ait toujours
le courage de prendre les décisions concrètes nécessaires pour
promouvoir et, si besoin, défendre la liberté de religion, pour
dénoncer toute forme de persécution, de violence et de
discrimination pour des motifs religieux, aussi bien en Europe que
dans le monde.
Comme croyants, un immense chantier nous attend. Il
s’offre à nous pour travailler ensemble, dans le cadre du dialogue
œcuménique, du dialogue interreligieux, comme avec tous ceux qui
cheminent vers l’absolu. Faisons en sorte que jamais, plus jamais,
le nom de Dieu ne soit invoqué pour justifier discriminations et
violences.
Je laisserai le soin de conclure mon propos au
cardinal Joseph Ratzinger. Dans son discours de réception à
l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de
France, le 6 novembre 1992, le futur pape affirmait : « Il
n’appartient pas à l’Eglise d’être un Etat ou une partie de
l’Etat, mais d’être une communauté basée sur des convictions…
Il lui faut, avec la liberté qui lui est propre, s’adresser à la
liberté de tous, de façon que les forces morales de l’Histoire
restent les forces du présent et que ressurgissent toujours neuve
cette évidence des valeurs sans laquelle la liberté commune n’est
pas possible. » Comment pourrais-je mieux finir ?
LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie,
Votre Eminence, pour votre intervention.
Je salue le professeur Mehmet Görmez, président de
la direction des affaires religieuses de la République de Turquie et
je lui donne la parole.
M. MEHMET GÖRMEZ président de la direction des
affaires religieuses de la République de Turquie* —
Monsieur le Président, Excellences, dignitaires religieux, mesdames,
messieurs, je commencerai en vous saluant. C’est un honneur pour
moi d’être ici et d’avoir la possibilité de participer à ce
dialogue interculturel dont nous avons besoin pour un avenir plus
pacifique.
Je remercie Dieu, le tout puissant, qui nous a
guidés vers la justice, la compassion et qui nous a donné la
possibilité de vivre ensemble dans la paix. C’est lui qui nous a
enseigné la fraternité, la paix, la justice, l’honnêteté, la
patience, le courage et le pardon. Je bénis tous les prophètes :
Abraham, Moïse, Jésus et Mahomet.
Nous avons hérité de ces dignitaires, les valeurs
telles que l’amour, la justice et l’ordre. Nous avons appris que
cette partie de la sagesse est commune à toutes nos cultures et
religions.
Chers amis, comme vous le savez, pour reconnaître
la contribution de la religion et des institutions religieuses au
dialogue interculturel et au renforcement de la multiculturalité,
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté un
livre blanc qui nous invite à vivre tous dans la dignité. Devant ce
document, je suis heureux et plein d’espoir. Il montre qu’il
existe des échanges de points de vue entre cinq grandes traditions
religieuses. Cela va contribuer à façonner le continent européen
et le monde.
Il est très important que ce rapport arrive
précisément à un moment où bon nombre d’hommes politiques
déclarent que la multiculturalité a été un échec. Il ne faut pas
oublier que les problèmes que nous connaissons actuellement dans
l’Union européenne et les défis que rencontre ce dialogue ne sont
pas liés uniquement à la religion. Le politique a aussi son rôle à
jouer. Il doit aller au-delà de ses limites. C’est un fait qu’on
ne peut oublier. Lorsque les hommes politiques seront décidés à
inaugurer un véritable dialogue interculturel, il pourra y avoir une
contribution de la société.
La crise que l’humanité connaît n’est pas
simplement économique, politique et culturelle. Elle a également
une dimension métaphysique. On ne connaît pas suffisamment les
religions. Il existe des abus. On ne reconnaît pas cet aspect de la
crise.
N’oublions pas que la religion s’adresse
directement à la conscience de l’individu et le prépare à agir
sincèrement, avec compassion et à se tourner vers autrui. Grâce à
cette préparation, la religion façonne les âmes pour l’ouverture
à la diversité.
Les religions ont une approche différente de la
diversité culturelle, mais elles peuvent significativement
contribuer à l'ouverture dans notre société. Permettez-moi de dire
que l’islam loue cette diversité, qui figure au cœur de ses
valeurs. Les institutions ne sont pas seules à avoir le pouvoir
religieux ; cela relève du libre choix des communautés. C’est
dans ce cadre que s’inscrit la diversité, telle qu’on l’a
connue dans l’histoire. Cet enseignement peut encore nous guider
aujourd’hui pour vivre ensemble.
Tous les prophètes, d’Adam à Mahomet, rappellent
l’importance de la vie, à l’inverse du nihilisme, du fatalisme
et du pessimisme. C’est un appel à l’humilité contre
l’arrogance, un appel à la justice pour lutter contre
l’exploitation et l’oppression, à vivre ensemble dans la
dignité, à lutter contre la discrimination et les inégalités, à
partager et non à opposer les personnes, à favoriser la vie de
famille. C’est aussi le message des dix commandements de Moïse, du
sermon sur la montagne de Jésus et celui de Mahomet. Le même
message est toujours martelé.
Vivre ensemble et égaux dans la dignité est
précisément le message essentiel de l’islam. Ce message, nous
l’avons porté durant des siècles, moyennant quoi la civilisation
musulmane a vu fleurir des sociétés multiculturelles et
multireligieuses, bien plus que d’autres qui ne partageaient pas
ces signes de diversité.
Aujourd’hui, les musulmans doivent se souvenir de
cet enseignement pour l’introduire dans leur vie face à la
confusion imposée par la modernité. Si l’on fait état d’un
seul patrimoine culturel européen, comme c’est le cas dans de
nombreux documents de l’Union européenne et du Conseil de
l’Europe, alors, il faut reconnaître la contribution significative
de l’islam. Une façon de le reconnaître est de se libérer de la
vision qui ignore la participation de l’islam. On parle de la Grèce
antique ou du Moyen Age mais on oublie l’islam. Pour bénéficier
de l’apport de la religion au dialogue interculturel, il faut avoir
une vision multiculturelle, laquelle ne sera pas concrétisée par
des interventions externes pour façonner les systèmes religieux. Au
contraire, les individus et les groupes doivent pouvoir choisir
librement, s’exprimer conformément à leurs dynamiques internes.
Il n’y a pas d’autre façon de déterminer cette participation
active à la société.
Lorsqu’on voit comment l’islam ou d’autres
religions sont présentées, on se pose les questions suivantes. Avec
un cœur sincère, qui peut accepter que l’on caricature ou que
l’on moque sa religion ? Suffit-il d’en condamner les
auteurs ? Peut-on accepter que cela soit exploité pour inciter
à la haine et à la terreur ? Messieurs les parlementaires,
c’est le devoir moral des dignitaires religieux comme des
responsables politiques de ne pas sacrifier l’Europe civilisée et
de s’opposer à ce discours hégémonique.
Il faut donc poursuivre notre mission, développer
les sociétés pour que nous vivions mieux ensemble. Dans cet espoir,
je me tourne vers Dieu pour qu’il nous bénisse afin que nous
puissions vivre ensemble dans la dignité. Je souhaite plein succès
à vos travaux pour promouvoir ces valeurs fondamentales.
LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie,
professeur Görmez, pour votre intervention.
J’ai le plaisir d’accueillir le Grand Rabbin
Berel Lazar, Grand Rabbin de Russie, auquel je donne la parole.
M. BEREL LAZAR, Grand Rabbin de Russie* –
Monsieur le Président, nous vous sommes reconnaissants de nous
permettre d’exposer nos idées concernant la situation en Europe,
les problèmes qui se posent et la façon dont les responsables
religieux peuvent contribuer à les résoudre. Vous savez mieux que
d’autres que l’Europe unie n’est pas seulement une scène
politique et une arène économique, mais qu’elle est aussi un
enjeu de compréhension intellectuelle et religieuse. Ce n’est
qu’ainsi que nous parviendrons à une Europe unie composée de
peuples vivant dans l’harmonie et la paix.
On dit souvent que le multiculturalisme a échoué
en Europe. Après avoir passé toute ma vie en Europe, je puis dire
que si cela a échoué, l’Europe a échoué, car la grandeur et le
fondement de l’Europe ont toujours été la compréhension
mutuelle, l’ouverture du dialogue en dépit de toutes les
différences séparant les peuples en matière linguistique,
culturelle et de tradition.
Je félicite le Secrétaire Général, M. Jagland,
d’avoir adressé hier à l’Europe tout entière un message dans
lequel nous devons nous retrouver. Nous sommes tous sur le même
bateau. Si quelqu’un perce un trou, aussi petit soit-il,
l’embarcation sombrera. Personne ne souhaite accuser qui que ce
soit et désigner l’auteur des difficultés. Certains disent que
l’extrémisme religieux est la source de la violence ;
d’autres reprochent à certaines forces d’empêcher la religion
de s’exprimer, générant ressentiment et frustration. Hier encore,
en France, une femme revêtue du niqab a provoqué une vive tension à
la suite de l’interdiction du port du voile. Pourquoi vouloir nous
forcer à vivre contre nos croyances ?
D’autres disent que nous devons vivre dans la
liberté et l’égalité, nous respecter les uns, les autres. Cela
me rappelle une histoire. Un jeune couple vient trouver un rabbin. Le
mari dit : « Ma femme fait ceci et cela ». Le rabbin
lui répond : « Vous avez tout à fait raison ».
Puis la femme prend la parole : « Mon mari fait ceci et
cela, c’est insupportable ». Le rabbin répond : « Vous
avez parfaitement raison ». La femme du rabbin intervient alors
en ces termes : « Mon cher mari, comment pouvez-vous
considérer que le mari et la femme ont tous les deux raison ? ».
Le rabbin lui dit : « Eh bien, toi aussi, tu as raison ».
J’ai donc à la fois de bonnes et de mauvaises
nouvelles pour nous tous. Voilà 2 000 ans de cela, le
Talmud observait déjà qu’il n’existait pas deux personnes
identiques au monde. Dans le même temps, certains affirmaient le
contraire en disant que toutes les créatures ont été créées pour
se multiplier, que seuls Adam et Eve étaient uniques.
Pourquoi Dieu n’a-t-il créé qu’Adam et Eve ?
Tout simplement pour que personne ne puisse dire que son grand-père
ou sa grand-mère étaient meilleurs que les autres. Il s’agit là
d’un enseignement intéressant pour nous tous : quelles que
soient nos différences, nous faisons partie de la même famille,
nous venons tous d’Adam et Eve.
Certains débats du Conseil de l'Europe sont
relatifs à la nécessité d’apporter la paix dans le monde. Si
nous étions tous d’accord et tous identiques, tout le monde
vivrait dans la paix et l’harmonie et ce serait en fait une vie
très monotone. Notre raison d’être est d’apporter la paix en
dépit de nos différences, de nos divisions, car nous vivons sur un
même continent, l’Europe. Nous devons donc absolument trouver le
moyen de nous comprendre.
J’ai pu constater que, quelles que soient les
personnes que nous rencontrons, il n’existe que deux écoles de
pensée. La première regroupe des personnes qui affirment que la
façon dont ils vivent est la bonne et que si des émigrants veulent
vivre dans leur pays, ils devront accepter leur vérité et leurs
règles. Cette idéologie a amené sur ce continent l’holocauste et
la mort de dizaines de millions de personnes qui ont été tuées
parce qu’elles ne la respectaient pas ; on ne pensait pas
qu’il était possible de vivre dans la même maison en ayant des
avis différents, des croyances différentes.
Pour la seconde école, il faut vivre et laisser
vivre, faire ce que l’on veut et laisser son voisin mener la vie
qu’il souhaite, sans porter de jugement.
Ces deux écoles sont dangereuses. Il nous faut
trouver une voie intermédiaire qui nous permette de vivre ensemble
une vie meilleure.
La Torah et la Bible nous disent que le prosélytisme
n’est pas la bonne voie ; chacune a sa propre croyance, toutes
les rivières vont à la mer, chacun à sa pierre à apporter à
l’édifice. Dieu a voulu ces différences ; c’est ainsi
qu’il nous a créés.
Cependant lorsque Dieu a donné la Torah au peuple
juif, il a dit qu’il fallait diffuser les différents messages
adressés à Adam, à ses enfants, à Abraham, à nos ancêtres, à
tous les peuples du monde. On ne peut pas simplement s’occuper de
sa congrégation ; si je m’intéresse à ce monde créé par
Dieu, il faut veiller à ce que chacun d’entre nous comprenne qu’il
est important de vivre ensemble, que des valeurs morales doivent nous
unir.
Il est remarquable que tous les dirigeants religieux
soient aujourd’hui réunis dans l’harmonie mais cela n’est pas
suffisant. Nous nous respectons et nous nous aimons, mais nous devons
aussi travailler et agir ensemble. Alors que pouvons-nous faire ?
Le vendredi 15 avril, nous allons célébrer les 110
ans du rabbi Loubavitch qui enseignait des idées magnifiques, dont
je me demande pourquoi elles n’ont pas été mises à profit pour
nous aider. Il avait en effet suggéré que, dès la petite enfance,
dans chaque classe, il convenait de commencer la journée par un
moment de silence. De la même façon que nous nous sommes levés
tout à l’heure à la mémoire des victimes du dernier attentat,
songeant à nos responsabilités vis-à-vis de Dieu pour faire un
monde meilleur, si tous les enfants commençaient leur journée par
un moment de silence, en pensant à leur famille, leurs proches et à
la responsabilité qui leur incombe de faire de ce monde un monde
meilleur pour nous tous, nous parviendrions à une vie meilleure.
En Russie, quand nous avons pu enfin pratiquer notre
religion, il y a vingt ans, nous avons subi beaucoup de méfiance à
notre égard. Aujourd’hui, les différents dirigeants religieux de
Russie se respectent, l’antisémitisme est même, de façon
surprenante, à son niveau le plus bas d’abord, parce qu’il
existe une coopération entre dirigeants religieux ; ensuite
parce que le Gouvernement commence à interférer dans les affaires
religieuses afin de veiller à ce qu’aucune autorité religieuse ne
propage des idées de haine et de violence ; enfin parce que les
communautés religieuses de Russie s’ouvrent : nos temples,
synagogues, mosquées et églises sont ouverts à tous.
C’est ainsi que nous irons vers un avenir plus
radieux où chacun, en Europe, pourra vivre dans la paix, l’amour
et l’harmonie.
LE PRÉSIDENT* – Je vous remercie,
monsieur le Grand Rabbin, pour votre allocution très
stimulante.
J’ai le plaisir d’accueillir le Prélat Bernhard
Felmberg, représentant plénipotentiaire du Conseil de l’Eglise
protestante d’Allemagne auprès de la République fédérale
d’Allemagne et de l’Union européenne.
PRÉLAT BERNHARD FELMBERG, représentant
plénipotentiaire du Conseil de l’Eglise protestante
d’Allemagne* – Mesdames, messieurs les
parlementaires, mes frères, mesdames, messieurs, la religion a été
et continue d’être un fil d’or dans le tissu de nos sociétés.
Les religions ont en général apporté une contribution positive
mais parfois, hélas ! elle fut négative. En tant que
responsables politiques ou en tant qu’hommes d’église, nous
avons le devoir d’œuvrer en faveur du renforcement de ce qui est
bon et d’empêcher ce qui est mauvais.
Les sociétés européennes sont de plus en plus
ouvertes et pluralistes, et les occasions se multiplient de
rencontres entre les différentes religions, même si certaines sont
encore considérées comme exotiques. Plus une religion est jeune,
plus elle semble liée à une culture étrangère et moins la
coopération, voire le dialogue sont aisés. Une dimension religieuse
s’attache au dialogue interculturel, mais également une dimension
culturelle au dialogue interreligieux.
J’aborderai quatre sujets : la religion est
un aspect parmi d’autres de la personnalité de l’homme, mais
peut constituer une part très forte de cette personnalité ;
depuis des siècles, l’Europe est marquée non seulement par le
pluralisme religieux, mais aussi par la diversité des systèmes
juridiques qui régissent les relations entre les religions et les
Etats ; la vie des Eglises, des communautés religieuses dépend
non seulement de la garantie du droit fondamental qu’est la liberté
de religion, mais aussi de la défense de sa dimension individuelle
et collective ; les Eglises, les religions apportent une
contribution précieuse aux sociétés par leur engagement social,
voire sociétal, et en promouvant une culture de compréhension
mutuelle.
Je vais développer ces quatre points.
La religion fait partie de l’identité : je
suis protestant, mais aussi Allemand ou Européen ; je suis au
surplus supporter d’un club de football. Les personnalités sont
riches de plusieurs facettes.
À Berlin, on appelait les membres de la principale
minorité « les Turcs ». Après le 11 septembre, nous les
avons appelés « des musulmans ». Choisir une appellation
appelle à la prudence et nécessite de se demander si le terme
retenu est pertinent au vu du contexte, car les discriminations sont
souvent fonction du choix des termes utilisés. La religion est
importante, mais elle ne forme pas l’ensemble de la personnalité
d’un individu, pas même d’un homme d’église. Nous avons tout
intérêt à porter l’accent sur ce qui nous unit plutôt que sur
ce qui nous sépare. Pour autant, ne nions pas la diversité et le
pluralisme. « Unis dans la diversité » n’est-elle pas
la devise de l’Union européenne ? C’est notre force et cela
vaut particulièrement s’agissant des religions et des systèmes
juridiques qui régissent les relations de l’Eglise et de l’Etat.
Ce propos est aujourd’hui dûment accepté par le
droit européen. L’article 21 de la Charte des droits fondamentaux
reconnaît ainsi la diversité culturelle, religieuse et linguistique
de l’Europe. L’article 17 du Traité de Lisbonne restreint les
compétences de l’Union et reconnaît les spécificités
nationales. Récemment, la Grande Chambre de la Cour européenne des
droits de l’homme a révisé une décision de première instance
relative aux symboles religieux, en l’occurrence des crucifix dans
les écoles publiques italiennes, mettant en lumière la marge
discrétionnaire des Etats. J’appuie un tel jugement, car nous
devons vivre dans des sociétés ouvertes aux religions et non
promouvoir la défiance et l’interdit. En Italie, les élèves
peuvent porter le foulard islamique ou la kippa juive, les
protestants construire des temples et professer librement leur foi.
Le fait qu’une Eglise qui réunit la majorité soit plus visible
que d’autres ne constitue pas en soi une discrimination. Le
pluralisme doit être respecté. Nous devons faire la part des droits
des majorités comme des minorités, à la lumière des réalités.
C’est ainsi que les minorités doivent pouvoir être vues et
entendues.
Bien avant de défendre les droits politiques, les
gens ont lutté pour la liberté de croire ou de ne pas croire, car
la religion se situe au centre de l’existence de tout être humain.
En effet, la religion interprète le monde, ses origines, son
avenir ; elle explique le pourquoi de la vie, de la mort, de la
souffrance, de l’espoir. Elle nous enseigne également à accepter
nos devoirs et nos responsabilités qui transcendent l’intérêt
individuel. L’Etat n’a pas plus noble mission que de protéger
ces droits. Toutefois, au cours des siècles, on a eu tendance à
opter pour une religion et à la défendre au détriment des autres
et contre l’hérésie. C’était la solution de facilité, qui
n’est, en général, pas la meilleure. L’Etat a des devoirs
envers la religion, mais non une religion particulière. L’Etat ne
peut non plus ignorer les réalités fondamentales et se doit d’être
neutre à l’égard « des » religions. C’est ce que
nous appelons la neutralité bienveillante de l’Etat. Il doit
promouvoir le dialogue et en tirer ce qu’il y a de positif, de
pacifique et de profitable.
De par leur engagement dans la société et en
favorisant la compréhension mutuelle, les religions doivent apporter
leur contribution, car elles ont des devoirs envers l’Etat et la
société. L’Evangile des juifs nous dit que le peuple de Dieu est
appelé à rechercher la paix, la prospérité de la cité, même en
exil. C’est encore plus vrai dans une société libre.
Nous nous engageons sur le plan social en faveur des
pauvres et des nécessiteux, de la veuve et de l’orphelin, de
l’étranger et de l’exilé, mais, ce faisant, il nous appartient
de faire évoluer les conditions qui autorisent que certains soient
pauvres ou exclus, victimes de l’injustice ou de discriminations.
Le partenariat doit être ouvert. L’article 17 du
Traité du Lisbonne établit un dialogue régulier, transparent et
ouvert entre l’Union européenne et les églises, les religions et
les communautés non confessionnelles.
Il faut qu’il y ait un véritable dialogue
interreligieux, mais ce n’est pas seulement la tâche des Eglises.
Ce dialogue avec les entités publiques est l’occasion d’un
échange, d’une coopération. En fait, il y a de nombreux fora
de dialogue très différents. Ainsi, nous avons des contacts avec
l’Union européenne, le G8, les Parlements du monde et l’Alliance
des civilisations. Pour que ces dialogues aboutissent, nous devons
concentrer nos forces plutôt que les éparpiller en différentes
enceintes.
Les religions méritent une place centrale dans nos
sociétés, mesdames et messieurs, monsieur le Président. Ma propre
Eglise, l’Eglise protestante allemande, compte 25 millions de
fidèles et emploie un demi-million de personnes, essentiellement
dans le domaine social. Grâce aux recettes fiscales dont elle
bénéficie, elle peut investir 800 millions d’euros dans
les bonnes œuvres. En outre, elle obtient des dons de ses membres,
ce qui porte les sommes gérées à plus d’un milliard.
Nous fournissons 600 000 places d’accueil
de jour, dans des crèches, des foyers, des hospices, touchant ainsi
toutes les générations, des plus jeunes aux plus âgés. Plus de
150 000 jeunes participent à nos groupes de jeunes et,
souvent, notre action se fait au bénéfice de membres d’autres
confessions, notamment dans le cadre des projets d’intégration, de
conseil aux demandeurs d’asile ou encore d’assistance juridique
aux réfugiés. À Berlin, nous allons même jusqu’à engager des
musulmans au sein d’une église chrétienne pour que ceux-ci nous
aident à secourir ceux que nous aidons. Nous consacrons également
des dizaines de milliers d’euros à l’aide au développement.
J’ai longuement parlé de mon Eglise. L’action
de l’Eglise catholique est du même ordre. Les juifs ont également
des œuvres sociales très importantes, même si les sommes sont
peut-être un peu moindres en Europe. Il faut maintenant que les
autres confessions s’engagent également ; j’en appelle en
particulier aux communautés musulmanes pour qu’elles créent des
structures identiques aux nôtres pour l’action sociale, et soient
ainsi plus visibles au sein de nos sociétés.
Cela m’amène au dernier point : la dimension
interreligieuse.
Nous devons encourager la tolérance et le respect à
tous les niveaux. En Allemagne, les protestants, les catholiques et
les orthodoxes organisent chaque année une semaine interculturelle
soutenue par les syndicats, des conseils municipaux, des
organisations de migrants et des acteurs de la société civile.
C’est un exemple parmi d’autres de ce qui est possible lorsque
l'on veut travailler ensemble.
Les chemins de la coopération sont, il est vrai,
parsemés d’embûches. Les religions n’ont pas toutes la même
conception de la société et de la place de l’individu, outre les
différences doctrinaires. J’ai déjà dit qu’il n’y avait pas
seulement une dimension religieuse au dialogue interculturel mais
aussi une dimension culturelle au dialogue interreligieux. Le
dialogue au sens premier du mot, c’est l’échange, l’existence
d’échanges qui aient un sens. Evidemment, si le clergé ou les
représentants religieux ne parlent pas ou parlent mal la langue du
pays, cela pose des problèmes. Le dialogue, c’est bien, encore
faut-il que toutes les parties établissent les conditions
nécessaires au dialogue.
En résumé, les religions font partie de notre
identité individuelle et collective. L’Etat doit défendre la
liberté religieuse de manière à ce que toutes les religions
puissent être librement pratiquées. Dans la plupart des cas, cela
signifie que les religions pourront apporter une contribution
positive à nos sociétés dans leur ensemble, par le biais tant de
leur engagement volontaire, bénévole, que par le dialogue.
J’espère que vous accepterez nos contributions et
que tout le monde se mobilisera pour apporter cette contribution
particulière.
LE PRÉSIDENT* – Merci infiniment,
monsieur le Prélat Felmberg de cet exposé fort intéressant.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le
scrutin pour l’élection de deux juges à la Cour européenne des
droits de l'homme au titre de la Norvège et de la Suisse est en
cours. À 13 heures, je suspendrai le scrutin qui reprendra à
15 heures. Il sera clos à 17 heures.
J’invite ceux d’entre vous qui n’ont pas
encore voté à le faire.
Dans la discussion générale, la parole est à M.
Leigh, au nom du Groupe démocrate européen.
M. LEIGH (Royaume-Uni)* – Monsieur le
Président, je pense me faire le porte-parole de tous nos collègues
en disant combien, jusqu’à présent, ce débat est source
d’inspiration. Il nous rappelle aux grandes valeurs de la religion.
Je suis certain que rien de ce que nous avons entendu aujourd’hui
ne pourrait susciter le moindre désaccord, pas plus d’ailleurs que
rien de ce qui figure dans ce rapport.
Pour commencer mon propos, je veux souligner que,
actuellement, le principal problème en Europe ne tient pas à la
diversité des religions ni aux avis fermement tenus par les uns ou
les autres, mais bien plutôt à l’indifférence qui se propage au
sein de la population.
L’autre problème que l’on peut détecter dans
la nature absolument non polémique de ce rapport est un élément
que je tiens à relever avec une grande clarté : tout type de
discours de haine à l’encontre d’une religion quelle qu’elle
soit est toujours totalement erroné. Ce qui semble parfois à l’un
un argument fort devient une insulte pour l’autre donc une sorte
d’effet de « refroidissement » du discours qui s’exerce
parce que l’on ne veut offenser personne – ce que l’on
appelle « le politiquement correct ».
Nous avons adopté une loi au Royaume-Uni qui traite
des voyous, du fait qu’il est interdit d’avoir des comportements
belliqueux ou insultants, d’adopter certains comportements… Par
exemple, lors d’un débat théologique dans un bed and
breakfast, quelqu’un a formulé des remarques désobligeantes
sur Mahomet, sur les vêtements portés par les musulmans : il a
été traduit en justice. De même, un homme d’église qui évoquait
ce que disait la Bible à propos de l’homosexualité a également
été poursuivi en justice. Dans une autre affaire, une personne qui
disait que la scientologie était très dangereuse a également été
poursuivie, car, là encore, on estimait qu’elle avait usé de
paroles insultantes et désobligeantes.
Pour ma part, j’appuie totalement les propos tenus
ce matin par le Patriarche, à savoir que la liberté, c’est un don
de Dieu. Catholique pour ma part, je pense que la chrétienté se
doit de rester au cœur de la culture européenne, mais il n’est
pas pour autant question de ne pas défendre le droit de ceux avec
qui nous ne sommes pas d’accord de pouvoir s’exprimer librement,
comme le disait Voltaire. Même si quelqu’un a absolument tort à
nos yeux, il faut lui permettre de s’exprimer. C’est cela, la
liberté. Si nous nous comportions tous de cette façon, je pense que
nous aurions au moins accompli quelque chose dans le sens du débat
d’aujourd’hui.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à Mme
Memecan, au nom de l’Alliance des
démocrates et des libéraux pour l'Europe.
M. MEMECAN (Turquie)* – Je félicite
Mme la rapporteure pour l’approche positive qui fut la
sienne sur ce sujet sensible et la remercier d’avoir mis l’accent
sur l’humilité dans ses propos liminaires.
Les être humains essaient d’apprendre à vivre
ensemble depuis la nuit des temps et, comme le disait Mme
Brasseur, nous avons aujourd'hui encore grand besoin de créer une
nouvelle culture du vivre-ensemble, car nous n’avons toujours pas
appris à vivre ensemble et il y a toujours des abus et des victimes
de ces abus. Il faudrait donc saisir toutes les occasions afin
d’empêcher les gens de tomber dans ce piège d’abuser des
croyances pour provoquer le chaos.
La xénophobie, l’antisémitisme et la
christianophobie illustrent ce type de comportement. Le rapport nous
encourage à les écarter absolument et à vivre ensemble dans le
respect mutuel. À cet égard, les déclarations constructives et
pacifiques des représentants religieux constituent un apport
important dans la lutte contre la haine. Je veux donc remercier les
dignitaires religieux présents aujourd’hui d’avoir accepté de
participer à nos débats et d’avoir prononcé des paroles qui
seront pour nous de véritables sources d’inspiration.
Les organisations professionnelles non
confessionnelles permettent d’unir les individus au-delà des
différences religieuses. Les droits de l’homme universels restent
la référence. Nous devons apprendre à respecter les différences
et enseigner ce respect à nos enfants. L’unité dans la diversité,
voilà ce que nous devons mettre en avant.
En matière d’échanges culturels, il me semble
important de partager entre nous les bonnes pratiques. La rapporteure
le recommande à juste titre, s’agissant des jeunes notamment.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M.
Petrenco, au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne.
M. PETRENCO (Moldova)* – Mes chers
collègues, c’est pour moi un très grand honneur de m’exprimer
aujourd’hui au nom du Groupe pour la gauche unitaire européenne.
Je veux avant tout féliciter la rapporteure pour son remarquable
travail et revenir plus particulièrement sur certains points.
Afin de créer une nouvelle culture du vivre
ensemble, comme nous y invite le rapport, nous devons avant tout
défendre le principe du multiculturalisme en Europe, que certains
remettent malheureusement en question. Selon eux, un système fondé
sur ce principe n’est pas viable. Leur critique, en attaquant la
paix civile, porte un rude coup à l’ensemble de l’édifice
européen. Nous ne pouvons donc que condamner les récentes
déclarations de dirigeants français et allemands sur l’échec du
multiculturalisme en Europe, déclarations qui constituent un
véritable retour en arrière en appelant au repli sur soi et en
stigmatisant les étrangers.
En réalité, ce qui a échoué en Europe, ce sont
les politiques menées par certains gouvernements, qui ont évité
d’affronter les véritables défis et qui n’ont pas garanti la
coexistence pacifique entre les communautés tout en veillant aux
libertés fondamentales et aux droits des citoyens.
Toute société repose sur la coexistence pacifique
de ses différentes composantes, y compris les composantes laïques.
Dans plusieurs pays, certaines religions ont tenté dernièrement de
s’ingérer dans les affaires de la vie civile, ce qui a évidemment
suscité de nouveaux affrontements. Les religions doivent savoir
qu’elles ont des limites à leur pratique, à savoir le respect des
libertés fondamentales des citoyens. Personne n’a le droit
d’attenter au droit à la liberté de conscience et de conviction
d’autrui. Il est donc important que les différentes religions
veillent à apaiser les tensions plutôt qu’à les alimenter.
Pour conclure, ce rapport marquera sans nul doute un
pas important vers la construction du modèle que nous appelons tous
de nos vœux en Europe.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M.
Santini, au nom du Groupe du Parti populaire européen.
M. SANTINI (Italie)* – « Unis
dans la diversité » : aucune autre formule ne semble
mieux convenir à notre débat de ce matin. C’est pourquoi elle ne
peut que recueillir un très vaste consensus. Nous avons tous des
convictions religieuses différentes et pourtant nous pouvons vivre
ensemble en bonne intelligence.
La Convention européenne des droits de l’homme
reconnaît la liberté de pensée et la liberté de culte. Si chacun
considère l’autre avec respect, ces libertés fondamentales
peuvent s’exercer sans restriction. La liberté de chacun finit là
où commence celle de l’autre ; à condition de le comprendre,
la coexistence pacifiques des religions est possible. Il faudrait
alors adopter une nouvelle formule : Le respect dans la
diversité.
Si chacun joue le jeu, il est possible de vivre
ensemble sereinement. Les hommes de foi doivent dialoguer entre eux,
certes, mais aussi avec les agnostiques et avec les athées. Hélas,
la multiculturalité est souvent attaquée et, au lieu de rapprocher
les communautés, on enracine les différences.
Le préambule de la Constitution européenne devait
inclure le principe de racines chrétiennes communes, puis on a parlé
de racines judéo-chrétiennes et, après de multiples controverses
sur le choix des termes, on a fini par aboutir à une désignation
qui ne satisfait personne. Aucune religion ne prévaut sur les
autres. L’Etat laïque doit toutefois reconnaître le droit à
l’expression religieuse et la place de la religion majoritaire.
Dans mon pays, récemment, une affaire a fait grand
bruit, celle d’une institutrice qui demandait le retrait des
crucifix dans les salles de classe, alors que l’Etat italien
reconnaît le droit à l’exposition de ce symbole religieux. La
Grande Chambre de la Cour de Strasbourg a reconnu, à juste titre
selon moi, que même dans un Etat laïque, les signes religieux ont
le droit de cité.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à M.
Connarty, au nom du Groupe socialiste.
M. CONNARTY (Royaume-Uni)* – Je salue
le travail accompli par Mme Brasseur et je remercie
M. Toshev pour sa contribution au débat. Les différents
dignitaires religieux qui se sont exprimés ce matin et qui ont donné
leur vision du dialogue interculturel ont clairement montré que nous
avons l’obligation de nous respecter les uns les autres.
Toute l’utilité de ce rapport est de formuler des
recommandations, que nous devons désormais appliquer. Il y est
question de bigoterie et d’incompréhension, des maux que l’Europe
connaît depuis des siècles. On y trouve aussi des exemples de
violences basées sur les confessions. J’ai pu en voir dans mon
propre pays. Il y a également des meurtres qui mélangent politique
et religion ; je pense notamment à cet acteur et producteur
palestinien de religion mixte, tué à Jénine en Palestine.
Nous avons des valeurs communes, reconnues par la
Cour, qui jouent le rôle de phare dans la lutte contre la bigoterie.
Le projet de recommandation demande aux Etats et aux organisations
confessionnelles et non confessionnelle de jouer un rôle plus actif
dans le dialogue interculturel. Au point 8, il appelle à
développer une nouvelle culture du vivre ensemble. Les événements
actuels nous montrent qu’il reste encore beaucoup à faire en la
matière. Alors servons-nous de ce rapport pour faire entendre la
voix de la raison.
LE PRÉSIDENT* – La parole est à
M. Mignon.
M. MIGNON (France) – Je tiens
tout d’abord à saluer l’initiative de notre président, qui a
permis qu’un tel débat ait lieu ici. Je félicite également notre
rapporteure, Mme Anne Brasseur, pour son rapport équilibré
sur une question ô combien difficile, qui met en exergue les
difficultés du vivre ensemble dans nos démocraties.
André Malraux aurait prophétisé que le XXIe
siècle serait religieux ou ne serait pas. Peu importe sa véracité,
la profondeur de l’expression s’impose. Dans un siècle où le
matérialisme paraît avoir suppléé toutes les autres croyances, le
retour au religieux semble répondre à des quêtes identitaires, des
quêtes de sens que les valeurs démocratiques de nos sociétés
n’incarnent plus, ou alors seulement à défaut d’une espérance
plus forte. Si la recherche d’un réconfort spirituel est à
saluer, elle ne peut se faire au détriment ni des croyants, quelles
que soient leurs religions, ni des valeurs démocratiques. Au
contraire, celles-ci sont le socle sur lequel toutes les religions
peuvent prospérer, à condition que leur prosélytisme ne soit pas
contraire au respect et à la dignité de l’autre.
La rapporteure n’a pas souhaité développer les
concepts de laïcité et de sécularisation de l’Etat. Néanmoins,
son rapport met en exergue le rôle de l’Etat dans les société
démocratiques, sa neutralité dans les questions religieuses,
neutralité qui correspond précisément à la modernité
démocratique, c’est-à-dire à la séparation du séculier et du
religieux.
En France, cette neutralité porte le nom de
laïcité ; ailleurs celui de sécularisation. Peu importe le
terme, l’essentiel est de définir précisément ses contours :
l’Etat doit favoriser la pluralité des expressions religieuses
dans le respect mutuel de chacune comme des non-croyants. Cette
neutralité implique une absence d’ingérence dans les affaires
religieuses. Aussi l’Etat ne peut-il mener directement le dialogue
interculturel ; c’est aux associations cultuelles de le faire.
Toutefois il peut le favoriser en assurant que chaque religion, et
ses fidèles, seront respectés sur son territoire.
La proposition d’Anne Brasseur que le Conseil de
l’Europe puisse faciliter les échanges interreligieux en tant que
plate-forme de dialogue me semble intéressante, car notre
Organisation ne saurait souffrir de partialité et apparaît bien
comme le lieu favorable aux échanges entre les instances
religieuses, dans un cadre respectueux des valeurs démocrates.
Le rapport traite d’un autre point fondamental, et
lié avec un sujet qui viendra en discussion à cette session :
l’enseignement dans les écoles publiques du fait religieux.
L’apprentissage des valeurs démocratiques, de la tolérance et du
respect de l’autre commence dès le plus jeune âge. Dans une
société qui reconnaît la diversité culturelle, il est nécessaire
d’enseigner le fait religieux comme marque de cette diversité.
Comment vivre dans la concorde sans connaître les
différences qui font la richesse de nos sociétés
multiculturelles ? Comment vivre dans le respect mutuel en
méconnaissant les différents messages de paix au cœur des trois
religions du Livre et des philosophies humanistes ? Comment
vivre ensemble sans connaître les rites et les particularités de
nos concitoyens ? L’éducation est le point d’articulation
entre un dialogue interreligieux nourri de tolérance et
l’apprentissage des valeurs démocratiques.
La diversité religieuse, dimension inhérente à
nos sociétés démocratiques, est un fait. Elle n’est en rien
synonyme de menace, mais une richesse dont nous devons nous réjouir.
(...)
Question
écrite No. 597 au Comité des Ministres | Doc. 12594 | 18 avril 2011
Liberté de pensée, de conscience et de religion
Question de M. Latchezar TOSHEV, Bulgarie, PPE/DCNotant que:
Le paragraphe 4 de la Recommandation 1962 (2011) déclare que "la liberté de religion ainsi que la liberté d’avoir une vision philosophique ou laïque du monde sont indissociables de l’acceptation sans réserve, de la part de tous, des valeurs fondamentales inscrites dans la Convention" ;
Le paragraphe 10 rappelle "l’obligation pour les Etats de veiller à ce que toutes les communautés religieuses qui acceptent les valeurs fondamentales communes puissent bénéficier de statuts juridiques appropriés garantissant l’exercice de la liberté de religion" et que "les Etats doivent également réconcilier les droits des communautés religieuses avec la nécessité de sauvegarder les droits des personnes sans croyances religieuses qui adhèrent à ces mêmes valeurs fondamentales" ;
Demande au Comité des Ministres:
de confirmer, quand il considérera sa réponse à la Recommandation 1962 (2011), que la liberté de pensée, de conscience et de religion, consacrée par la Convention européenne des droits de l'homme, est inconditionnelle et ne dépend pas de l'acceptation de valeurs fondamentales ni de l'adhésion à de quelconques valeurs.
Réponse
à Question écrite
Liberté
de pensée, de conscience et de religion
Réponse à Question
écrite | Doc. 12706 | 15 septembre 2011http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-fr.asp?fileid=13003&lang=fr
Liberté de pensée, de conscience et de religion
Auteur(s) : Comité des MinistresOrigine - adoptée à la 1119e réunion des Délégués des Ministres (7 septembre 2011) 2011 - Quatrième partie de session
Réponse à Question écrite: Question écrite n° 597 (Doc. 12594)
1. Le Comité des Ministres considère
la liberté de pensée, de conscience et de religion comme un droit
inaliénable, consacré dans la Déclaration universelle des droits
de l’homme des Nations Unies et garanti par l’article 18 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques de 1966 ainsi
que par l’article 9 de la Convention européenne des droits de
l’homme, dont le Conseil de l’Europe est le gardien. Il a
réaffirmé fermement ce principe dans sa Déclaration sur la liberté
religieuse, adoptée le 20 janvier 2011. Il examinera la
Recommandation
1962 (2011) de l’Assemblée parlementaire sur « La
dimension religieuse du dialogue interculturel », à laquelle
l’Honorable Parlementaire fait référence, en se fondant sur le
même principe.